« Almanach d'un comté des sables »

Publié le 24 Juin 2013

 « Almanach d'un comté des sables » de Aldo Léopold, GF Flammarion (poche), 288 pages, 8 €.

l'almanach coul

 

Le Mot de l'éditeur :

Publié pour la première fois à titre posthume en 1949, l'Almanach d'un comté des sables s'est très vite imposé comme un classique des écrits consacrés à la nature. Considéré à l'égal du Walden de Thoreau, il constitue également l'un des textes fondateurs de l'écologie.


 Un court extrait ....
«Chaque année au mois de juillet, j'observe passionnément un certain cimetière de campagne devant lequel je passe en voiture chaque fois que je vais à la ferme ou que j'en reviens. C'est le moment de célébrer l'anniversai- re de la Grande Prairie, qui était autrefois un événement important, et dont un antique officiant
subsiste ici dans un coin. C’est un cimetière banal : entouré d’épicéas, avec les habituelles pierres tombales de granit rose ou de marbre blanc ornées des habituels bouquets de géraniums roses ou rouges. Il n'est extraordinaire que par sa forme, triangulaire au lieu de carrée, et par la présence, dans l'angle aigu formé par la clôture, d'un reste minuscule de la Prairie d'origine, telle qu’elle existait à l'époque de la construction de ce cimetière, dans les années 1840. Cette relique du Wisconsin natal, ce mètre carré soustrait à la faux et aux tondeuses, donne naissance, chaque année au mois de juillet, à une tige de silphium ou «plante au compas» de la taille d'un homme, tout étoilée de fleurs jaunes grandes comme des soucoupes qui ressemblent un peu aux tourne- sols. C’est l'unique exemplaire de son espèce le long de cette autoroute, et peut-être le seul survivant dans tout l'ouest de notre comté. A quoi pouvaient bien ressem- bler cinq cents hectares de silphium en fleur chatouillant le ventre des bisons, voilà une question qui n’aura plus jamais de réponse, et peut-être même plus jamais l’occasion d'être posée. Cette année, j’ai trouvé le silphium en fleur le 24 juillet, une semaine plus tard que d'habitude ; au cours des six dernières années, la date se situait en moyenne autour du15 juillet. En repassant devant le cimetière le 3 août, j'ai vu que la clôture avait été enlevée par une équipe de cantonniers, et que les silphiums avaient été coupés. A partir de là, il est facile de prévoir la suite ; pendant quelques années, mon silphium tentera
en vain de se hisser au-dessus de la tondeuse, puis il mourra, et ce sera la fin de l’ère de la Prairie.
D’après l’administration des autoroutes, cent mille voitures passent par ici chaque année pendant les trois mois d'été au cours desquels le silphium est en fleurs. Dans ces voitures il doit y avoir au moins cent mille personnes qui ont « fait » ce qu’on appelle de l’Histoire et peut-être vingt-cinq mille qui ont     « fait » ce qu’on appelle de la botanique. A supposer que dix d’entre eux aient vu le silphiurm, personne, vraisemblablement, n’aura remarqué sa disparition. Si je devais expliquer au pas- teur que les cantonniers viennent de brûler des livres d’Histoire dans son cimetière, il me regarderait avec des yeux ronds.
Comment une mauvaise herbe pourrait-elle être un livre ? Voilà un petit épisode des funérailles de la flore indigène, qui constitue à son tour un épisode des funé- railles de toutes les flores du monde. L’homme mécanisé, oublieux des flores, est fier des progrès accomplis dans le nettoyage du paysage dans lequel il doit, bon gré mal gré, passer ses jours. Il serait peut-être sage de supprimer tout de suite l'ensei- gnement de la botanique et de l’Histoire dignes de ce nom, de crainte que quelque citoyen du futur ne soit pris d’angoisse à la pensée du prix floristique de sa vie si bien agencée ».

Rédigé par chante-ruisseau

Publié dans #A lire - à voir - à écouter ...

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